Dans
un havre de verdure à l’abri des regards et du soleil brûlant, le châtelain, Jean-Paul
Gouttefangeas, et sa dame châtelaine nous ont réservé un accueil merveilleux de
gentillesse, de disponibilité et leur souci de faciliter tout ce qui pouvait
l’être, en firent de merveilleux guides.
Ce
fut donc un régal que de se réunir à proximité du Château, autour des tables
sous les arbres, à la
fraîche. Rayons de soleil au travers des feuillages, petit
vent frais balançant les branches…
Nous
retrouvions aussi 2 des nôtres qui avaient participé au séjour HCE en Roumanie.
Heureux d’être ensemble, nous avons partagé quelques impressions de voyage.
Bientôt
le châtelain nous invite à nous installer devant le château tandis qu’il
commence à montrer des documents anciens et à les commenter. Le château (1480),
qualifié de « manoir » est représentatif de l’architecture civile de
l’époque du 15ème siècle. Les
successions s’opèrent le plus souvent par filiation. D’abord, nous écoutons un
peu d’histoire à propos des différents propriétaires qui se succédèrent. Selon
les époques et les événements politiques, les projets furent variés et parfois…
violemment contrariés.
Jean de La Chassaigne acquit la propriété au 12ème
siècle, et M. Durfé au 15ème ; lequel la vendit à M. Chazeron
au 16ème. Au 17ème siècle c’est au tour de la famille de
Montmorin laquelle va vendre le château à la famille Simiane.
Le marquis de Simiane importe des orangers qu’il va installer
dans la partie des serres dites froides (protection des végétaux jusqu’à -10°C). Les Montmorin
réacquerront la propriété auprès des Simiane, eux-mêmes revendront au
Riberolles qui, à leur tour revendront aux premiers (les Montmorin). Vous
suivez toujours ? Las ! L’époque est plutôt agitée, depuis 1785… M.
Montmorin sera poursuivi en tant que propriétaire terrien, emmené à Paris en
1789, pour y être décapité.
Les Riberolles récupèreront un manoir aux tours détruites pendant la Révolution. La loi
de l’époque leur impose de ne pas recouvrir la toiture sur une période de 2 à 3
mois afin que les intempéries y fassent leur œuvre. Les châtelains veulent
vendre au début du 20ème siècle : l’opération échoue ; ils
devront se résoudre à vendre « à la découpe ». D’un côté ce seront
les statues du parc, les arbres et la ferme qui seront cédés. Reste l’édifice
principal devant lequel un chemin sera construit pour y accéder en passant… par
chez le voisin. La cour elle-même a appartenu à 2 propriétaires (chacun en
reçut une partie). Aujourd’hui la cour est « rassemblée » en une
seule parcelle mais la servitude du droit de passage est toujours d’actualité.
Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué !
Enfin
au 20ème siècle et depuis, ce sont 2 familles qui jouissent du
lieu : les Roux et les Delotz. Les uns occupent le 1er étage du
bâtiment, les autres le second.
Tous ces épisodes ne nous parlent pas de l’environnement immédiat
de la bâtisse : il n’y avait aucun jardin, la ferme et l’orangerie –
construits en pisé – sont tombés en ruines et furent reconstruits sur les mêmes
emplacements ; on y ajouta des caves.
A l’étage supérieur du manoir, chaque angle possédait une
« poivrière » (tourelle avec un toit en forme de chapeau pointu,
comme une poivrière), placée en avancée, ce qui permettait d’observer de tous
côtés.
Le
château de La Chassaigne est inscrit à l’inventaire des monuments historiques. Les châtelains
actuels, passionnés par ce lieu ont fait rehausser le bâtiment, ce qui affine encore
son élégance. Aucune subvention ne leur est allouée pour l’entretien des
lieux, mais le couple déduit entièrement les montants de la restauration, ce
qui les dispense de tout impôt. (C’est une entreprise thiernoise qui a restauré
les enduits des murs, reprenant les couleurs d’origine).
Tout
le monde s’est montré attentif pendant l’évocation historique de Jean Paul Gouttefangeas qui, à 70 ans passés,
montre toujours une réelle passion et un tonus impressionnant. A la fin du
récit, et de façon parfaitement synchronisée, Madame sonne la cloche pour
indiquer aux éventuels retardataires que la visite de l’intérieur va commencer.
C’est la
première fois que nous voyons Madame, mais pas la dernière…
Nous
avons vu qu’à présent, il y a ici 2 propriétaires. Ceux qui nous reçoivent
s’occupent du 1er étage qu’ils se sont efforcés de mettre en valeur,
en reconstituant les salles, tout en conservant chaque élément singulier autant
qu’il était possible.
A
la fin des phrases de Monsieur, Madame tente de lui « chiper » la
place, en se déplaçant physiquement et en lui prenant la parole. Lui, aurait
bien fait tous les commentaires, à lui tout seul… bien volontiers. Madame
guette le moment où son époux va terminer la phrase suivante pour enchaîner à
son tour sur un sujet qu’elle estime sans doute lui revenir d’office : la tapisserie. M.
s’éclipse, il reviendra dans un moment.
La
grande tapisserie d’Aubusson – qui date du 17ème siècle – aurait
grand besoin d’une restauration rafraîchissante, mais pour des questions de
coût, ce n’est pas à l’ordre du jour.
Les
différents motifs qui composent la tapisserie représentent un épisode du roman
de M. d’Urfé (l’un des propriétaires), décrivant les amours de 2 jeunes gens
dont les familles sont ennemies. L’histoire est certainement complexe
puisqu’elle ne compte pas moins de… 5000 pages ! Un cinéaste bien actuel –
Eric Rohmer – s’est emparé du sujet pour construire le scenario de son
film : « Les amours d’Astrée et Céladon ».
Sur
la tapisserie, les paysages sont ceux de notre région.
Puis
nous nous dirigeons vers d’autres salles, tout aussi riches et propices aux
commentaires.
Une fois la visite de l’intérieur
terminée, Jean Paul Gouttefangeas nous emmène dans les jardins : quel
travail ! Quel entretien ! Chaque parcelle a son caractère et
« surtout, ne faites pas des barrières de verdure avec du
charme ! » n’a cessé de nous répéter M. Gouttefangeas : « Prenez
des conifères, les feuillus ça pousse trop vite ! ». On pourrait
parier peut-être, que pour la prochaine saison, il y aura encore pas mal de
changement au château, mais cette fois, dans les jardins. Là, Madame ne s’y
aventure guère…
Les pieds piétinent, les gorges
s’assèchent, l’heure tourne. Le temps a passé vite à écouter les châtelains.
Chaque participant rejoint la voiture qui l’a amené, les politesses sont
rapides, c’est le moment du retour.
Jusqu’à la prochaine fois !
Évelyne C