14 juin 2015 - La roseraie de Dourioux

Comme à l’accoutumée, la sortie d’HandiLettante de ce 14 juin commençait par le traditionnel covoiturage pour mener tous les adhérents sur les lieux de notre sortie. On ne parle pas assez de ces moments privilégiés où les adhérents se retrouvent entre eux dans l’espace confiné des voitures et parlent à loisir de la journée à venir en se remémorant celles passées ; tout cela ne se fait pas sans fous-rires ni émotions ; bref il s’agit là d’un prélude bien agréable…
Lorsque nous sommes arrivés à  la roseraie de Dourioux le temps menaçait et quelques gouttes tombèrent péniblement mais, sûrement par égard pour nous, le ciel retint contre lui sa couverture grise de nuages rebondis et nous avons pu nous installer confortablement sous une ample tonnelle fleurie pour notre traditionnel pique-nique.
Tout le monde sait à HandiLettante que le « pique-nique » est un mot convenu pour parler du plantureux repas que nous faisons ensemble. Chacun emmenant  une spécialité ou une attention  à partager, nous sommes vite débordés par l’abondance ; cependant  la gourmandise nous aide vite à honorer les petits plats de chacun et les restes (quand il s’en trouve) sont dûment partagés pour le repas du soir (au cas où on aurait encore faim !).
A l’issue de notre repas, nous nous sommes donc tournés vers la roseraie proprement site et nous avons vu surgir une dame blonde vêtue de dentelles, tenant à son bras un panier contenant l’inévitable sécateur dont le jardinier ne se sépare jamais pour une balade au jardin : il s’agissait de la propriétaire des lieux : Madame Chabry. Malgré son allure toute de légèreté, c’est avec une force de caractère et une volonté  peu communes qu’elle décida d’établir cette roseraie dans un champ qu’elle voyait – et couvait d’envie -de sa fenêtre. Elle se mit à parler de ses roses, avec l’abondance que l’amour porte aux lèvres. Avec une précision de dentellière et un regard de peintre, son langage développait  cette originalité qui transforme les choses en êtres vivants. Ainsi elle parlait de  leur «  cœur brodé «  et de leur « d’œil vert ». « Objets inanimés, avez-vous donc une âme qui s’attache à notre âme et la force d’aimer ?» demandait Lamartine. A cette question, Madame Chabry répond « oui » à l’évidence, car grâce à elle, les roses perdaient  à nos yeux  leur statut de simples plantes pour devenir des êtres à part entière. En effet, chacune d’entre elle avait une histoire, toujours passionnelle, où  l’amour et la  mort se mêlaient  aux réalités prosaïques pour donner à l’ensemble le doré de la légende.
Lorsque nous sommes parvenus au fond du jardin, les barnums que Roger et nos amis avaient montés le matin nous accueillirent. Il était temps ! Le ciel n’en pouvant plus de retenir ses nuages les lâcha d’un coup et ils nous arrosèrent d’une ondée de cordes bien serrées. Une fois l’averse passée, la dame jardinière nous conduisit  à son potager. Quel charme dans ce lieu clos ! Une étrange sculpture qui faisait penser à une tête de mort semblait en interdire l’entrée  au mauvais sort, tandis que cachée dans un énorme buis centenaire, une vierge à l’enfant en bois se reposait de l’agitation du monde. Le caquètement de poules (originales !) se mariait avec le vert des salades tandis que les feuilles des arbres s’égouttaient de la récente averse…
Mais il fallut partir, l’église de Châtel Guyon et ses fresques nous attendaient. Au revoir Madame Chabry ! Que vos roses  gardent la belle santé que vos soins leurs assurent afin d’avoir le bonheur, un prochain jour,  de respirer encore leurs parfums en écoutant la musique de votre amour pour elles.
Encore un petit tour de voiture ensemble pour s’échanger nos impressions sur cette douce et tendre  roseraie  et nous arrivons à Châtel Guyon où nous sommes accueillis, avec une émouvante chaleur humaine, par M. Levadoux, organiste dans l’église Sainte Anne et ancien professeur d’Histoire.
C’est un homme charmant, M.Levadoux,  plein de cette douceur propre aux gens qui aiment donner. Il attend patiemment que nous soyons tous installés et nous raconte, oui, nous raconte comme une belle histoire vraie, la rencontre improbable entre un petit curé d’Auvergne et le grand peintre Nicolaï Greschny, resté seul en France à la libération, car sa patrie, l’Estonie, est devenue soviétique.  C’est en 1956, lors de cet hiver si célèbre par sa terrible et mortelle rigueur  que les deux hommes se rencontrent et que cette étrange aventure porteuse de la chaleur de l’amour du Christ va se réaliser…en deux mois seulement ! En effet, habité par le génie et fort d’une méthode de peinture à la chaux, Greschny, sans maquette ni dessins, peint à main levé, les  900 m2 des murs de l’église avec l’histoire de l’apocalypse. Les personnages de la Bible ont souvent les visages des villageois, l’humour du peintre se fait sentir dans des détails infimes que souligne pour nous M.Levadoux de son œil exercé et connaisseur. La visite s’achève sur l’attention portée aux vitraux composés en cristaux de baccarat. Nous aurions bien aimé entendre M.Levadoux nous jouer un morceau à l’orgue, mais il était trop tard. Une bonne raison pour revenir et l’écouter nous conter encore une fois la belle histoire chaleureuse de l’hiver le plus froid du siècle !










M.Levadoux en son église Sainte Anne.

 Texte de Frédérique Marty (juin 2015)