Lorsque nous sommes arrivés
à la roseraie de Dourioux le temps
menaçait et quelques gouttes tombèrent péniblement mais, sûrement par égard
pour nous, le ciel retint contre lui sa couverture grise de nuages rebondis et
nous avons pu nous installer confortablement sous une ample tonnelle fleurie pour
notre traditionnel pique-nique.
Tout le monde sait à
HandiLettante que le « pique-nique » est un mot convenu pour parler
du plantureux repas que nous faisons ensemble. Chacun emmenant une spécialité ou une attention à partager, nous sommes vite débordés par l’abondance ;
cependant la gourmandise nous aide vite
à honorer les petits plats de chacun et les restes (quand il s’en trouve) sont
dûment partagés pour le repas du soir (au cas où on aurait encore faim !).
A l’issue de notre repas, nous
nous sommes donc tournés vers la roseraie proprement site et nous avons vu
surgir une dame blonde vêtue de dentelles, tenant à son bras un panier
contenant l’inévitable sécateur dont le jardinier ne se sépare jamais pour une
balade au jardin : il s’agissait de la propriétaire des lieux :
Madame Chabry. Malgré son allure toute de légèreté, c’est avec une force de
caractère et une volonté peu communes
qu’elle décida d’établir cette roseraie dans un champ qu’elle voyait – et
couvait d’envie -de sa fenêtre. Elle se mit à parler de ses roses, avec
l’abondance que l’amour porte aux lèvres. Avec une précision de dentellière et
un regard de peintre, son langage développait
cette originalité qui transforme les choses en êtres vivants. Ainsi elle
parlait de leur « cœur brodé
« et de leur « d’œil vert ». « Objets inanimés, avez-vous
donc une âme qui s’attache à notre âme et la force d’aimer ?» demandait
Lamartine. A cette question, Madame Chabry répond « oui » à
l’évidence, car grâce à elle, les roses perdaient à nos yeux
leur statut de simples plantes pour devenir des êtres à part entière. En
effet, chacune d’entre elle avait une histoire, toujours passionnelle, où l’amour et la
mort se mêlaient aux réalités
prosaïques pour donner à l’ensemble le doré de la légende.
Lorsque nous sommes parvenus au
fond du jardin, les barnums que Roger et nos amis avaient montés le matin nous
accueillirent. Il était temps ! Le ciel n’en pouvant plus de retenir ses
nuages les lâcha d’un coup et ils nous arrosèrent d’une ondée de cordes bien
serrées. Une fois l’averse passée, la dame jardinière nous conduisit à son potager. Quel charme dans ce lieu
clos ! Une étrange sculpture qui faisait penser à une tête de mort
semblait en interdire l’entrée au
mauvais sort, tandis que cachée dans un énorme buis centenaire, une vierge à
l’enfant en bois se reposait de l’agitation du monde. Le caquètement de poules (originales !)
se mariait avec le vert des salades tandis que les feuilles des arbres
s’égouttaient de la récente averse…
Mais il fallut partir, l’église
de Châtel Guyon et ses fresques nous attendaient. Au revoir Madame Chabry !
Que vos roses gardent la belle santé que
vos soins leurs assurent afin d’avoir le bonheur, un prochain jour, de respirer encore leurs parfums en écoutant
la musique de votre amour pour elles.
Encore un petit tour de voiture
ensemble pour s’échanger nos impressions sur cette douce et tendre roseraie
et nous arrivons à Châtel Guyon où nous sommes accueillis, avec une émouvante
chaleur humaine, par M. Levadoux, organiste dans l’église Sainte Anne et ancien
professeur d’Histoire.
C’est un homme
charmant, M.Levadoux, plein de cette
douceur propre aux gens qui aiment donner. Il attend patiemment que nous soyons
tous installés et nous raconte, oui, nous raconte comme une belle histoire
vraie, la rencontre improbable entre un petit curé d’Auvergne et le grand
peintre Nicolaï Greschny, resté seul en France à la libération, car sa patrie,
l’Estonie, est devenue soviétique. C’est
en 1956, lors de cet hiver si célèbre par sa terrible et mortelle rigueur que les deux hommes se rencontrent et que
cette étrange aventure porteuse de la chaleur de l’amour du Christ va se
réaliser…en deux mois seulement ! En effet, habité par le génie et fort
d’une méthode de peinture à la chaux, Greschny, sans maquette ni dessins, peint
à main levé, les 900 m2 des murs de
l’église avec l’histoire de l’apocalypse. Les personnages de la Bible ont
souvent les visages des villageois, l’humour du peintre se fait sentir dans des
détails infimes que souligne pour nous M.Levadoux de son œil exercé et
connaisseur. La visite s’achève sur l’attention portée aux vitraux composés en
cristaux de baccarat. Nous aurions bien aimé entendre M.Levadoux nous jouer un
morceau à l’orgue, mais il était trop tard. Une bonne raison pour revenir et
l’écouter nous conter encore une fois la belle histoire chaleureuse de l’hiver
le plus froid du siècle !
M.Levadoux en son église Sainte Anne.
Texte de Frédérique Marty (juin 2015)